samedi 9 juin 2012

Un jour ici

Comment fait-on pour vivre une déception ?

Comment font-ils tous ces gens qu’on croise pour continuer à marcher ? Droit ou non. Je pense aux gens que je connais et reconnais différentes méthodes.

Il y en a qui passent sous silence l’événement qui les a attristés. Certains le font par pudeur qui pourrait bien être mélangée à de la fierté: les gens n’ont pas besoin de savoir, cela ne regarde que moi. D’autres vont même jusqu’à s’inventer une vie, une vie où tout se passe tellement bien, voire si extraordinairement bien pour eux que personne n’est dupe mais tout le monde les écoute en rêvant à ce que leur vie aussi ressemble à un tel récit. On finit presque par oublier qu’on n’y croit pas de manière à mieux s’affliger en se trouvant pitoyable de verser une larme pour telle ou telle chose quand d’autres ne sont jamais confrontés à des situations pénibles. Quand on commence à croire à la fable de l’autre, notre réalité est terrible.

Il y en a d’autres encore qui crient haut et fort leurs petits malheurs quotidiens. Tellement banal, c’est un mode de vie, un peu comme Les malheurs de Sophie avec un nombre illimité de chapitres. On est à la page 312, mais on sait que la prochaine fois qu’on verra la personne en question, on aura passé la page 329. Ça s’accumule. On connaît tout de ce qui lui est arrivé, de la fois où il a insulté une grand-mère en pensant que c’était un gangster à la fois où il s’était déjà vu déchiqueté par les piranhas parce qu’il avait oublié d’emporter les rames de son canot qui tanguait dangereusement, laissé à la dérive. C’est un sujet de conversation tellement vrai qu’au fond, il ne trompe pas. Lui aussi, comme le premier, quémande une attention particulière. Attention qu’il obtient, qui lasse, qui déclenche une certaine empathie. Plus que la première méthode.

Moi, je ne sais pas, j’ai oublié ma notice.
J’hésite entre marcher pendant des heures, jouer à saute-moutons, mâcher le plus de chewing-gum possible pour faire un concours avec moi-même, tourner les bobines de mes vieilles cassettes audio jusqu’à ce que les marques des petites roulettes en plastique restent imprimées sur le bout de mes doigts, et découper tous les tissus qui me passent sous la main pour en faire de faux origamis. Ou faire tout ça en même temps.
Ou boire une petite coupe et souffler ma déception dans une bouteille que je jetterai dans la Seine. Elle arrivera jusqu’à la mer. Je le sais. Le vent la portera.

L'air du large sent bon la liberté

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