jeudi 2 février 2012

Hibernation

9h28 – Je me réveille. Au chaud. Sous ma couette.
9h33 – Je me dis qu’il serait temps de me lever. J’allume la radio.
9h35 – La météo. J’entends qu’il fait -5°C à Paris. -5°C à Paris. Paris, c’est ici. Pas possible !!! Ça veut dire que si jamais je sors de sous ma couette, il va faire un peu plus frais. Que si je m’approche de ma fenêtre et ouvre les rideaux, il va faire encore plus frais. Que si j’ouvre la fenêtre, ça va être horrible. Que si j’ouvre les volets, ça va être plus qu’horrible. Ça va être la Sibérie orientale transposée juste devant chez moi, et même partout autour… En résumé, si je me lève et que j’ouvre tout, je vais – de mon plein gré – créer un gouffre polaire. À réfléchir donc.
9h42 – Je réfléchis toujours.
9h44 – Je me dis que la météo exagère souvent. Surtout que, lorsqu’ils ont dû prendre la température extérieure, il devait être des millions d’heures plus tôt.
9h45 – Je prends conscience qu’il est impératif de vérifier auprès des vrais gens. J’attrape mon téléphone, pointe l’application Facebook, et appuie.
9h46 – Je parcours le fil d’actualité. Une remarque me saisit d’effroi : « - 8°C. C’est très froid. ». Tu m’étonnes. Je relis : « - 8°C. C’est très ... »… Mais il habite à Paris, lui !!!
9h48 – Réunion de crise avec moi-même : la vraie température est donc pire que celle annoncée par la météo. Désormais, je le saurai.
9h50 – Mon moi premier est tombé d’accord avec mon moi second pour arriver à la conclusion suivante: il est urgent de trouver des contre-indices.
9h50 et quelques secondes : prise de frénésie, je manque de faire bugger mon téléphone. Fragiles, ces petites choses-là. Aucune autre remarque concernant le climat effroyable qui règne sur la capitale. Les doigts des Parisiens auraient-ils congelé au point de ne plus pouvoir taper sur les touches de leur ordinateur – i-phone – i-pad – Blackberry et autres confrères ??? Je suis perplexe.
9h53 : J’envisage sérieusement d’entrer en hibernation.
9h55 : Je trouve plein de justifications plausibles face aux esprits un peu étriqués susceptibles de ne pas comprendre mon changement d’attitude, pourtant si sensé. Première explication, de saison : « Pour mieux comprendre les marmottes, j’ai décidé d’adopter leurs cycles de vie. ». Deuxième explication, toujours de saison, mais face à un esprit encore plus étriqué, explication qui permet donc de se défiler, et pour laquelle il suffit d’imaginer que je suis enrhumée et que j’ai déménagé à Nation : « Ben oui, je basse l’hiber à Nation ». J’envisage également, après avoir frisé le ridicule en prononçant cette phrase, me sauver en courant, prétextant l’heure de ma prochaine inhalation.
10h15 : Je me tourne du côté gauche pour continuer à rêver.
10h16 : Je me fige. Je me rappelle avoir accepté de prendre un thé avec une amie en début d’après-midi. Mon cerveau opère une traduction instantanée : aller dehors en bravant le froid, comme tout le monde. Mon cerveau opère une deuxième traduction presque aussi instantanée que la première : se jeter à corps perdu dans un congélateur géant. Mon cerveau bugge.
10h30 : Une idée de génie me vient. J’envoie un texto à l’amie en question pour faire remarquer la température, mais sans insister, juste comme ça, en espérant qu’elle aura pitié de moi et qu’elle me proposera de se voir dans quelques semaines, une fois la température redevenue convenable.
10h32 : J’entends le bip de réception des messages. J’attrape mon téléphone en moins d’une seconde et demie, histoire de pouvoir aller petit-déjeuner en toute sérénité.
10h35 : Je relis le texto pour la quinzième fois. Elle a confirmé le rendez-vous. En même temps, j’aurais dû m’en douter en me remémorant la dernière fois qu'on avait rendez-vous pour un thé. II y avait alors eu une sorte de mini tempête. J’avais essayé le même coup, et ça n’avait pas marché. Ma deuxième conclusion du jour : il y a des gens vraiment insensibles aux conditions climatiques.
10h36 : Je me prépare psychologiquement à repousser mon hibernation d’un jour. Je passe en revue tous mes habits qui pourraient avoir d’inscrit sur leur étiquette des mots tels que « laine », « angora », « cachemire ». J’imagine toutes les combinaisons qu’il est possible de faire avec ces vêtements. Dans tous les cas, j’aurai l’air d’un bibendum. En même temps, quand il y a urgence, il est permis de faire un petit tort aux exigences modeuses parisiennes et là, je l’affirme haut et fort : il s’agit d’une urgence.
10h50 : Je mets le chauffage à fond dans ma chambre appliquant la théorie suivante: si mon corps emmagasine le plus de chaleur possible en un temps record, je survivrai quelques heures de plus. Je ferme également très fort les yeux pour espérer me trouver aux Bahamas une fois ceux-ci rouverts.
10h51 : J’ai rouvert les yeux et n’ai pas bougé d’un pouce.
13h15 : Je me tiens debout devant la porte d’entrée prête à partir. En même temps, heureusement que je n’étais pas assise, je me serais posée des questions sinon. Je fais les comptes. Quatre épaisseurs en haut dont un sous-pull conçu exprès pour skier, deux à trois épaisseurs en bas selon les zones, bottines (je me réserve une petite marge d’action avec les bottes fourrées), chapka, écharpe, gants doublés. Je pense que j’ai fait le tour.
13h20 : Je sors. Dix minutes pour atteindre le métro. Pour me donner du courage, je me répète en boucle que je suis toujours vivante. J’ai juste l’impression qu’on vient de me transposer au cœur du Mont Blanc en m’interdisant d’enfiler une combinaison de ski. Je maudis toutes les fois où j’ai râlé à propos des combinaisons de ski.
17h30 : De retour chez moi, je prépare la pâte à crêpes. Je me lèche les babines en pensant que c’est une excellente manière de commencer une période d’hibernation. Ah, Hibernation…

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